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taient sans sourciller d’étonnantes insultes, attentifs seulement à ce qu’elles ne fussent pas accompagnées d’une promesse de punition.

Séverin, taciturne et d’humeur haute, eut au début un peu d’effarement ; il eut aussi de sourdes révoltes à cause des corvées pleuvant sans rime ni raison ; il finit pourtant par s’habituer. Comme il était plein de bonne volonté, il passa clairon en pied à la fin de la première année. À dater de ce jour, il vécut de lentes journées au corps de garde, s’amusant de l’allure des civils qui passaient devant la grille, tutoyant les filles maigres et plâtrées qui venaient le soir relancer les sous-officiers. Il allait aux cuisines chercher la soupe des hommes de service, et ne manquait point de crier en soulevant le couvercle des gamelles :

— La crève ! c’est la crève, alors !

Les camarades sortaient de leur somnolence et faisaient chorus, vouant à la réprobation des honnêtes gens le métier, les fricoteurs et le gouvernement.

— La crève, n. de D… ! la crève, alors ! Accents farouches que démentaient le sourire des faces rougeaudes et la sonorité des poitrines ; indignation réglementaire qui ne coupait l’appétit à personne.

À cette heure, Séverin se réjouissait de ces souvenirs ; il se rappelait Micot, un gros Breton grêlé qui avait été quatre ans élève-tambour et que le tambour-major n’avait jamais appelé autrement qu’Andouille. Il le revoyait carré, placide, tapant sur une petite planchette, où il recommençait pendant des heures,