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Séverin ne se plaignait qu’à un autre berger qu’il croisait parfois sur sa route et qui, lui aussi, avait toujours du fromage, mais sec. Ils se criaient de loin :

— Séverin, Séverinet ! as-tu le ragoût ?

— Gustin, Gustinet ! as-tu le jambon ?

Et ils riaient en faisant tournoyer comme une fronde leur panetière crasseuse.

Le soir, Séverin avait une écuellée de soupe ; il la mangeait au coin du feu où il s’amusait à taper sur la tête des chats avec sa grosse cuillère. On lui donnait après sa soupe une pomme ou des châtaignes.

Quand il eut une douzaine d’années, il commença à faire besogne d’homme et à s’asseoir à la table avec les autres. Il n’y fut guère mieux d’abord ; le grand valet qui coupait le pain lui passait les morceaux moisis, et quand on mangeait du lard, il avait sa grosse part de couenne. On ne se gênait pas non plus pour lui taper sur les doigts quand il était surpris à couper des bouchées trop larges et trop minces qui raclaient le plat comme de petites pelles. Surtout il était vexé qu’on l’appelât « Pâtireau » ou « Pâtira », comme on appelle les pauvres, maigres et transis, les jeunes infirmes, les bossus, les béquillards, les veaux à diarrhées, les canetons mal fermés, tous les êtres geignants et malitornes voués à une misère sans éclaircie et qui pourtant n’en finissent pas de mourir.

Mais les années passèrent ; à seize ans, il avait les os durs et le geste vif ; on commença à le respecter.

Il arriva, vers cette époque, qu’un coup de mine coucha le Boiteux sur le rocher gris et bleu qu’il creusait ; il fut tué net. La grand’mère, quelques mois