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Empoignant l’aiguillon, il piqua les bœufs et la charrette démarra.

Séverin demeura une minute pour former la barrière ; comme il se disposait à partir à son tour, une voix claire s’éleva derrière lui :

— Papa ! bonsoir !

Il se retourna. Louise était sur la route, mince silhouette brune que bombaient les poches gonflées d’un bissac. Séverin, d’un coup d’œil instinctif d’ancien cherche-pain, soupesa ce bissac ; cela devait faire six ou sept livres : bonne tournée, très bonne tournée.

Il vit aussi le sarrau mouillé, les pieds nus dans des sabots trop grands, les petites jambes violettes ; il gronda :

— Que fais-tu là ? Tu n’es pas encore rentrée !

— Non, répondit l’enfant ; j’ai fait tout un tour ; j’ai attendu plus de deux heures chez les métayers de Malitrou ; la femme n’y était pas.

— As-tu mangé ?

— Oui, j’ai mangé une pomme de terre chaude chez Pitaude et un grignon de miche que j’ai eu dans le bourg.

Elle s’arrêta de causer pour tousser d’une toux sèche qui la secouait toute.

Séverin se rapprocha d’elle. Il souffrait cruellement chaque fois qu’il voyait son enfant avec un bissac ; il ne s’habituait pas à la misère des siens ; il en avait honte. Quand Louise passait sur les routes à portée de sa vue, il baissait la tête et parlait à ses compagnons d’ouvrage pour détourner leur attention.