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forçant de suivre, agitait ses longs membres d’araignée dans leur sillage de brume.

Ils se dirigèrent vers une auberge qu’ils connaissaient pour y avoir, autrefois, payé de l’eau-de-vie sucrée à des servantes, les jours de foire. Elle était justement ouverte ; une lampe y blêmissait, jetant aux vitres grasses des pâleurs équivoques.

Ils entrèrent comme une bourrasque. Une petite bonne, accroupie près d’un poêle au milieu de rondelles de fonte, de bouts de papier et de tas de cendres, se leva et vint à eux en s’essuyant les doigts à l’envers d’un tablier sale. Vivement, elle débarrassa une table où traînaient encore des verres de la veille et où les culs des bouteilles avaient entremêlé des anneaux roses ; puis, elle se remit à son poêle, en les admirant à la dérobée. Son regard allait des jambes rouges aux boutons de cuivre et aux képis cavalièrement chiffonnés ; il finit par se poser sur Séverin à cause du clairon.

Séverin, d’ailleurs, était bien le plus beau des quatre. Moins lourd que ses camarades, moins blond, avec des lèvres plus minces, on le devinait d’une espèce plus fière et plus nerveuse. Ses yeux, qui étaient très noirs et un peu farouches, souffraient à cause de la lampe toute proche, et ses paupières battaient. En versant négligemment d’abondantes rasades, il se félicita d’avoir donné l’aubade à la ville paresseuse ; puis il se mit à rire à cause du vin répandu sur la table. Les trois autres riaient aussi. Leur insouciance s’accommodait du désordre ; ils étaient heureux de tout, même de se voir si sales, les mains et la figure poivrées de charbon.

Peu à peu ils se calmèrent. Le poêle ronflait ; ils