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Il commença à sonner sans y être invité ; sa sonnerie, hésitante d’abord, devint plus nette ; il retrouva son ancienne manière, et le geste aussi, le brusque décollement de l’embouchure, le lancé énergique de l’avant-bras. Il engagea vivement les conscrits à entrer dans la clique, une fois qu’ils seraient là-bas, mais dans la vraie clique, celle des clairons — dans la clique des tambours, on n’arrivait à rien, témoin Micot, un petit Breton qui avait été trois ans élève tapin. Il leur parla aussi du grand tambour-major ; il conta des tours, des histoires étonnantes que les conscrits firent d’abord semblant de comprendre, puis qu’ils n’écoutèrent plus. Alors Séverin en retint deux dans un coin de l’auberge et leur enseigna le garde-à-vous et les premiers principes comme au temps où, clairon en pied, il remplaçait le caporal à l’instruction. Enfin, malgré l’aubergiste, il sonna sans interruption ; vingt fois le couvre-feu mourut dans la petite salle : les vitres tremblaient sous la grêle des notes précipitées.

Quand, vers dix heures, il eut quitté l’auberge, il sonna encore pour son plaisir ; seul sur la route il lança des airs incohérents qui se perdirent dans la nuit froide. Un vent aigre accourait du nord-ouest entre les têtards ébranchés ; il tomba une averse de neige mal fondue ; cela calma un peu Séverin. Cependant, il n’était pas encore solide en arrivant aux Pelleteries. Delphine qui vint lui ouvrir, en chemise, l’aperçut ruisselant et titubant ; elle se dépêcha de prendre un jupon et d’allumer la chandelle.

-C’est ça ! fit-il, allume un peu, qu’on voie !