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— C’est ça ! dit Séverin. Tu as raison tout de même.

— Bah ! bah ! fit le vieux, faut être juste ; si nous faisons venir le froment, eux nous donnent les terres. Que ferions-nous s’ils ne voulaient pas nous les affermer ? Elles sont à eux, pourtant ; ils sont bien libres ; s’ils voulaient, hein ?

Le jeune homme, que la contradiction commençait à animer, reprit :

— Voyons, vous n’y pensez pas, mon oncle ! Supposez que tous ces beaux messieurs qui grugent les paysans disent un jour : « Nous ne voulons plus affermer nos terres ; nous en cultiverons un petit carré pour nous ; le reste servira à élever des sauterelles et des lézards ! » Supposez cela, vous ne voyez pas ce qui arriverait ? Après tout, continua Lucien, la voix soudain grave, cette chance serait merveilleuse ; quel rêve ! Ce serait le grand nettoyage ; le souffle immense venu des champs balayerait les graines d’ivraie ! N’est-ce pas, les gars ? Nous verrions l’irrésistible levée des silencieux et des sacrifiés : ce serait le grand effort des bras durs tendus pour la révolte !

Les derniers mots passèrent avec une allure de mystère dans la vieille chambre toute pleine de paix résignée. Les gars s’étaient arrêtés de manger ; sans bien comprendre, ils avaient senti le frémissement passionné de la voix, et ils se taisaient, étonnés.

Chauvin, pourtant, éleva sa voix découragée :

— Que veux-tu ! C’est peut-être vrai, ce que tu dis ; moi, je ne lis point dans les livres où ces choses sont marquées ; je ne sais point ; c’est du cassement de tête pour rien, c’est tout ce que je peux dire.