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Il les montra toujours au guet, ne ratant aucune occasion de rafler l’argent de leurs fermiers.

– Ce n’est pas la peine de nous tuer, dit-il, puisque rien ne nous reste ; si l’on fait une bonne récolte, si en se privant de sommeil, de nourriture et de tout, on arrive à mettre quelques sous de côté, crac ! ils enchérissent les terres ; ça ne manque jamais. Quand l’année est mauvaise, il n’est pas question de diminuer, par exemple, ni même d’attendre. Vous rappelez-vous comme ils ont fait vendre les meubles de Morine du Moulin-Virette, une pauvre veuve qui leur devait bien peut-être cinq cents francs, et qui était allée se jeter à genoux devant eux pour demander une autre année de crédit ?

Le jeune gars eut une lueur de colère dans ses yeux placides.

— On les connaît, les Magnon, les Duroc, tous ces gros riches, n’est-ce pas, Lucien ?

— Oui donc ! on les connaît, les Duroc, les Magnon, tous les autres fainéants : de la vermine attachée à la chair des pauvres gens.

Les valets se mirent à rire, mais le vieux, prudent, hocha la tête, à demi scandalisé.

— Faut jamais trop parler, mon gara ; ça peut porter tort… Les choses ont été faites comme elles sont, ce n’est pas nous qui les changerons.

— Peut-être ! Mais je dis que ces gens-là sont terribles, car chacun d’eux, au lieu de manger comme un de ceux qui produisent, mange comme dix, comme cent, comme mille. Ce sont des coucous qui, pour pondre un œuf clair, saccagent tous les nids d’une futaie.