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Lucien continua sa route nerveusement ; des phrases grondèrent en lui. Il lui était arrivé, en rêve, de prêcher l’amour à dos foules attendries ; bien des fois, il s’était mis à la place de l’abbé, son frère ; il s’était vu dans une chaire très haute, d’où sa parole coulait douce comme le miel, et c’était la bonne anarchie, les mains fraternelles, la bonté d’un âge merveilleux ressuscitée à la voix de l’aède. Mais, cette fois, il s’entendit crier d’une voix vengeresse, flageller des vampires, appeler à la révolte une bande de Jacques aux yeux de feu.

— Sus aux rapaces ! Sus ! Sus ! les Jacques.

Brusquement, ayant posé le pied à faux dans une rigole, il eut le ventre secoué et se mordit la langue ; réveillé, il jura en se remettant d’aplomb :

— Bon sang ! que je suis donc bête ! Idiot, va !

Puis il regarda vite autour de lui : personne ne l’avait vu. Pourtant, en haut de la montée, il aperçut justement sa cousine Henriette qui, chargée d’un panier de pommes de terre, sortait d’un champ.

Il l’appela, la rejoignit et l’embrassa.

— Alors, fit-elle, comme ça, tu viens chez nous, Lucien ?

— Oui, mais dis-moi, les Magnon y sont-ils encore ?

— Qui ? les maîtres ? Ils n’ont point musé ; ils sont à la chasse pour toute la matinée.

— Puisqu’ils sont partis, allons-y ! Tu comprends, cousine, ce sont des étourneaux qui ne me reviennent pas.

— Chut ! fit la fille ; ils doivent chasser par là ; j’ai vu les chiens tout à l’heure.