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— Tiens-toi donc tranquille ! Tu vas te faire mal. Ce que j’ai là ? Hé, hé ! j’ai de la soupe à l’oignon et un œuf frais.

Alors Lucien s’était levé :

— Tu es une brute ! Au revoir !

Et il était parti dans la direction du Pâtis, furieux contre son frère. Il avait honte de trouver chez son aîné cette apathie d’ecclésiastique bedonnant. Pas de méchanceté, certes, chez l’abbé, mais que d’égoïsme inconscient !

Peu à peu, cependant, Lucien se calma. Il coupa une badine de noisetier qu’il se mit à peler en marchant ; il mâcha des bouts d’écorce amère. Il venait des champs une odeur chaude de terre remuée ; l’herbe de l’accotement était verte et fine : des feuilles jaune tendre pleuvaient ; le soleil faisait papilloter des micas sur le petit sentier des piétons en marge de la route.

De gros sabots avaient laissé des traces profondes de clous dans la poussière ; Lucien considéra, à côté, la trace de ses fines semelles ; il s’amusa à timbrer le sentier d’un talon léger quoique précis.

À l’orée d’un pré de regain, devant une barrière à demi effondrée mais armée d’épines noires, il y avait un carré de terre piétinée. Des bêtes s’étaient ennuyées là ; elles avaient été agitées de désirs impossibles devant cette haie perfide. Quatre énormes bouses symétriques, nettes, sans bavures, encore fraîches et luisantes, semblables avec leurs bords hauts et leurs vagues figées à de gros échaudés brûlés, cuisaient doucement sous le soleil blanc de cette matinée d’automne.