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même pas sot. Mais la misère le tracasse et le rend maussade.

Quand je suis aux Écotières je paie pour les bourgeois qu’il hait.

J’ai beau lui représenter que je suis un gueux comme lui, j’ai beau prendre son parti, il me rejette dans le camp adverse d’une bourrade insultante. Il y a pour lui deux sortes de gens : ceux qui grattent la terre et les autres. Il ne voit que ces deux catégories. Je suis dans la seconde, donc je suis bon à jeter aux bêtes.

Il me larde de banderilles.

— Tas de fainéants ! dit-il ; sans nous, vous crèveriez de faim.

Ou bien :

— Pas besoin de nous cracher dessus ; c’est nous qui vous faisons vivre.

C’est là encore une de ses idées fixes. Nous, c’est-à-dire Rostchild, le préfet, le marquis, le chef de gare et moi, nous crachons sur les paysans.

Barreau exagère.

Et cependant cette méfiance n’est point si folle. Le Jacques a été piétiné tout au long des âges. Le mépris qu’il porte est vieux comme la civilisation ; les esprits les plus libres ne s’en défont qu’avec peine. Pour ma part, je me flatte de n’avoir là-dessus aucun préjugé ; mais je n’oserais pas soutenir que je suis tel naturellement et que je n’ai jamais vaincu en moi la vanité instinctive de l’intellectuel.