Je me souviens qu’en ce temps-là je jalousais les jeunes gens de vingt ans. Je me disais : quand je serai grand et fort, comme je serai heureux de regarder les hommes avec des yeux au niveau des leurs ! Comme je me déferai de ma timidité, de ma gaucherie. Comme j’aurai des idées nettes et une volonté précise ! Comme je serai fier et libre et sûr de moi !
Hélas ! aujourd’hui avec mes longues jambes de coureur et mes moustaches de mousquetaire, je suis encore timide, gauche, sans virilité ; je retrouve ma sensibilité puérile d’adolescent et j’ai besoin d’un raidissement d’orgueil pour crâner.
Je ne suis pas un homme. Je ne serai peut-être jamais un homme…
Oh ! je sais bien que cet état d’âme ne va pas durer. Lorsque j’aurai recommencé à travailler, lorsque j’aurai fait mes visites d’arrivée, lorsque je serai repris par le train-train de mon existence médiocre, cette mélancolie se dissipera et je ne sentirai pas mon cœur dans ma poitrine.
Ce soir, il est lourd comme une pierre.
J’ai comme une angoisse du large parce que je viens de passer deux mois trop à l’abri.
J’ai été gâté pendant ces deux mois. Je l’ai d’ailleurs été pendant toute mon enfance. Ce n’est pas à dire que j’aie jamais été bichonné comme un enfant de riches : non, j’ai souvent couru nu-pieds, mangé des soupes maigres et porté des nippes rape-}