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chez moi ; d’ailleurs tous mes souvenirs et toutes mes lectures s’accordent à te représenter sous les traits d’un quinquagénaire poivre et sel, un peu pompier peut-être, mais éméché et gai au fond. Juste le contraire de ce que je suis.

Sapristi ! qu’ai-je donc ce soir ?

Je ne suis pas fatigué, je ne souffre pas, le travail qui m’attend ne m’effraie pas ; quant à ma pauvreté, je m’en moque.

Est-ce donc la solitude qui pèse ainsi sur mes épaules, cette solitude que j’aime, que j’ai cherchée, qui cesserait si je le voulais ?

Je ne le crois pas. Lorsque je suis seul avec moi-même, je m’aperçois malaisément que je suis avec un sot. Dès que j’ai des compagnons, je me blesse à leur sottise et j’y mesure la mienne. Non, la solitude ne me pèse pas.

Pourtant, pourtant… j’ai beau raisonner : c’est bien là le point sensible.

Ici, je n’ai pas d’amis. Il y a Évrard, mais il a bien trop d’affaires, le pauvre garçon ; et puis il est marié. Je n’ai pas d’ami.

J’ai froid ; je suis inquiet dans cette maison provisoire ; tel un poussin égaré qui, le soir venu, se tapit, faute de mieux, entre deux mottes glacées.

J’ai connu cette sensation autrefois en arrivant à la boîte au retour des vacances. Je n’en faisais rien voir ; je plaisantais avec les autres, mais, tout au fond du cœur, j’étais bien triste.