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Peu à peu mes idées changèrent de couleur. En moi naquit cette folie magnifique qui, en un jour pareil, jeta des va-nu-pieds contre les murailles d’une énorme prison d’État. J’eus la sensation divine du courage insouciant et de la force infinie. Et toutes les choses du monde me semblèrent adorables.

Je fis un somme léger qui n’interrompit point mais brouilla mes rêves héroïques. Je ne sais comment je me trouvai, botté de plomb, devant une cavale indomptable et rebelle qui hennissait avec la voix de Mme Valine. Vers sa crinière, noire comme un enfer refroidi, je levai vingt fois mes mains impétueuses ; et vingt fois la prise manqua, mes mains glissèrent, arrachant seulement des touffes de ces sales cheveux morts par quoi les dames ont l’habitude d’exhausser leurs fontanges… Alors, d’un effort surhumain, je levai le talon gauche jusqu’à l’étrier et, m’élançant sur la bête enfin matée, je criai :

— À moi ! à moi cette Bastille !

Je dus véritablement crier et faire un haut-le-corps, car je m’éveillai brusquement.

Il était trois heures. Je donnai à ma chambre le coup de balai mensuel et je procédai à ma toilette. Je procédai à cette toilette minutieusement négligée qui, aux yeux de mes collègues, me sauve de la banalité, fait de moi un type. Pauvre type ! mais quoi ! Cette attitude est la seule qui me soit permise ;