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moi les yeux merveilleusement sataniques d’un porteur de maléfices.

— Ah ! Ah ! Ah ! tu me plains ! Oh ! j’en suis sûr, tu me plains ! Tu te dis : faut-il être bête ! cela ne m’arrivera pas… Eh bien ! tu n’es pas plus malin que les autres. Je t’attends, mon gaillard, vers la trentaine. À trente ans, tu seras secrétaire de mairie, tu liras ton quotidien et tu iras à la chasse… très bien ! mais tu seras marié aussi. Tu seras marié à une institutrice ou à une fille sans le sou… et alors tu emploieras ta bravoure à guerroyer contre une pauvre femme énervée par la besogne ou la misère. Chez moi, c’est la misère, mais quoi ! souffrir tient en haleine. Tu deviendras peut-être plus bête que je ne le suis… Ah oui ! tu as tort de me plaindre. Après tout, ma femme n’est pas beaucoup, beaucoup plus méchante que les autres ; et elle est assez jolie…

— Mâtin, fis-je, je le crois bien !

Il cessa de ricaner et continua d’une voix lente :

— Les rêves, après tout, c’est la fleur de la vie. Tant qu’on peut rêver on a la belle part. N’as-tu jamais rêvé que tu tombais au Monomotapa ? que tu te réveillais au milieu d’une peuplade inconnue, que tu étais débarrassé de tes vieilles pensées, de tes vieilles amitiés, de tes préjugés, de tes timidités, de tes scrupules, de tes habitudes étrangleuses et que tu recommençais à vivre avec toutes tes forces neuves ?