Page:Pérochon-Le Chemin de plaine.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Puis je piquai une tête dans l’eau claire et je flânai au soleil.

La matinée fut charmante. Évrard avait dix-huit ans. Il rappelait d’une voix attendrie nos souvenirs de boîte.

— Qu’on était bête, mon Dieu, dans ce temps-là !

— On était gai !

— On n’avait pas besoin d’argent !

— Pas de femme !

— Pas de maîtresse !

— Mais, comme on aimait l’Amour !

— Tu parles ! fis-je ; moi, d’ailleurs, je l’aime encore.

Après deux ou trois ronronnements d’essai, il amena un alexandrin :

Amour, Amour défunt qui croisez vos mains blanches.


— Avec « planches » ça va très bien, gouaillai-je.

Puis je m’éloignai, car je devais rapporter les lignes au moulin. Quand je revins, Évrard, couché sur le ventre, faisait des vers comme un sous-préfet. Il me tendit son papier, me l’enleva d’ailleurs vivement, biffa un mot, corrigea et lut, de sa voix d’apparat, chaude et nuancée :

Amour, Amour ancien qui dormez les mains jointes,
Pâle et glacé parmi les choses de jadis,
Parmi les songes d’or et les haines éteintes,
Amour, Amour ancien aux minces doigts raidis !