Page:Pérochon-Le Chemin de plaine.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

somme ! et plus tard j’arriverai à gagner des deux mille francs !

— On vit à moins, dit-elle.

Il est bien certain que mon père gagnait moins de deux mille francs et même moins de douze cents ; et maman nous a tout de même élevés sans trop se plaindre — sauf quand il n’y avait pas de beurre.

Il y a encore une misère plus grande. La grande misère, c’est quand le pain manque. Dans son enfance, maman l’a un peu connue, cette misère-là. Depuis, elle s’est toujours trouvée heureuse.

Je suis moins résigné ; je suis plus exigeant.

Prudemment, j’ai fait part à ma mère de mes projets d’avenir. Elle a protesté quand je lui ai parlé de m’en aller en Tunisie.

— Puisque ta femme sera institutrice… tu l’as dit toi-même.

— Mais j’ai peur que ce soit bien tard, trop tard.

— Et moi, que deviendrai-je ?

— Mais nous ne partirons pas pour longtemps…

Nous reviendrons, mère, nous reviendrons ! Ce n’est pas loin la Tunisie, si tu crois !… Tous les ans, nous pourrons venir passer les vacances chez toi… trois mois chez toi… tu ne voudrais pas ?

— Mon pauvre enfant, j’aurai le temps de mourir pendant que tu seras là-bas.

— Mourir ! Mais tu n’as que cinquante ans ! As-tu le droit de mourir ? Tu n’as même pas le droit d’être malade… ce n’est pas ton tour. Puis, ne te