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— Madame, les soucis de mon installation matérielle…

Ils m’ont lâché tout de suite. Peut-être en avaient-ils assez, eux aussi…

En sortant, je me suis heurté à Évrard. Il a eu de la peine à me tendre la main parce qu’il portait un kilog de sucre et une bouteille d’huile bouchée avec du papier.

Il n’a plus son allure leste d’autrefois. À vingt-sept ans, il se voûte. La lumière de ses yeux ne danse plus ; sa fine moustache retombe. Comment la jolie blague légère que nous aimions sortirait-elle de ces lèvres frémissantes et tordues ?

Pauvre Évrard ! À vingt ans il a rencontré une jeune fille aux yeux singuliers, des yeux d’un bleu très foncé, fort beaux en vérité. Bêtement, il s’est marié. Depuis il est malheureux.

Nous avons marché quelques minutes côte à côte. Tout à coup il a interrompu une phrase insignifiante pour dire, en regardant mes souliers fatigués et mon pantalon taillé par une couturière de village :

— Mon petit, tu as l’air purée.

— Oh ! ça m’est égal !

Ça m’est égal en effet, ou à peu près ; je ne suis pas trop sensible. Mais lui ne souffre-t-il pas cruellement de sa pauvreté ? J’ai eu la stupidité de chercher des phrases de consolation. Heureusement je n’en ai pas trouvé. Je n’en pouvais pas trouver d’ailleurs : on ne console pas dans la rue un poète