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laisser rire un brin ? Il n’y a pas de mal après tout, pas le moindre mal.

— Soit, mais n’abusez pas. De la discrétion, monsieur Tournemine, de la discrétion…

Nous avons été discrets ; jusqu’à présent, personne n’a jasé. Et pourtant la chandelle s’est éteinte presque tous les soirs.

La bonne jeunesse !

Et moi, ne suis-je donc pas tout jeune aussi ?

Pas toujours.

D’abord je suis l’organisateur et j’ai un certain faix sur les épaules qui m’empêche de gambader.

Je suis digne. Je dis : M. Robert, M. Lucien, M. Charles, Mlle Forestier. Je préside au travail. Je corrige la pièce. Là où le serin d’auteur a écrit « au nom de Dieu » je mets « au nom du ciel ». Je pourchasse les liaisons saugrenues et je guerroie contre les sonorités locales. Je veille aux gestes. J’anime cette grande solive d’Anna et je la fais s’arrêter aux points ; car elle ne s’arrête pas aux points, même suspensifs ou d’exclamation, et Dieu sait pourtant s’il y en a ! Les tirades lui glissent du bec comme des banderoles imprimées et cousues.

Je fais au contraire couler la voix de Thérèse et je modère ses élans. Je rabats ses petites pattes impétueuses et blanches de lingère. Je ne lui serre pas les doigts. C’est avec elle surtout que je fais le bonhomme de bois. Elle m’a frôlé maintes fois dans le noir. Une fois, même, elle m’a pris par le