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Il arrive de parler librement, mais qui donc ose écrire librement ? N’ayant d’autre lecteur que moi-même, je suis un grand privilégié.

D’abord, je choisirai mon heure. J’écrirai le soir après dîner ; j’aurai ma pipe ; l’hiver, je prendrai une posture charmante : le derrière sur ma chaise et les deux talons sur la cheminée, de chaque côté du réveil, pour faire garniture.

J’écrirai sans hâte. Je puis bien ce soir noircir dix pages ; je puis aussi laisser cette phrase inachevée et m’aller coucher… Rien ne me pousse ; je ne suis pas une force qui va. J’ai du temps devant moi ; j’ai tout le temps devant moi puisque j’ai jusqu’à ma mort.

Quel académicien fait, de gaieté de cœur, des fautes de français ? Moi, je peux m’offrir ça. Je peux aligner les plus incohérentes inepties. Pourquoi m’efforcerais-je d’être sensé et cohérent ? Ma pensée n’est-elle pas aérée de bulles, creusée de grands alvéoles irréguliers et sans miel ?

Je ne peux pas me faire croire à moi-même que je suis bel et bon.

Si j’écrivais pour autrui il me faudrait corser l’histoire. Mais je suis à la fois spectateur et grand premier rôle. Piètre comédie que celle où je suis tout !

Cependant je ne suis pas le metteur en scène. Le metteur en scène, c’est le hasard, c’est l’avenir.

Je le vois cet avenir : je puis le regarder les pau-