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ne fréquente que les grands auteurs ; il n’y a presque pas de modernes dans sa bibliothèque.

Sa femme, une bonne paysanne en bonnet, parle intarissablement. De la cuisine, elle l’interpelle, le questionne, le prend à témoin… Son Montaigne en main, le bonhomme répond : oui ! oui ! Il a remarqué qu’il vaut mieux répondre oui, huit fois sur dix environ. La négation attire l’orage.

M. Buc parle comme au grand siècle ; il vient d’appeler M. Michaud qui le taquinait, un impudent maraud.

Il est d’ailleurs très malicieux ; il s’est moqué d’Évrard tout à l’heure, il s’est moqué de Mitron… Ne s’est-il point moqué de moi ?

Vraiment, je me sens un peu timide devant ce vieux maître d’école qui peut réciter à rebours certaines pages des Essais ou des Pensées.

Je bavarderais plus volontiers avec ma voisine de gauche, une jeune fille dirigeant provisoirement une école de garçons dans un hameau perdu à quinze kilomètres de Lurgé. Elle n’est pas jolie pourtant ; à vingt-cinq ans, elle a l’air vieillot. Elle mange du bout des dents et ne boit pas. Je lui verse un doigt de vin, je l’amène à plaisanter ; ses yeux craintifs finissent par se lever et elle s’anime un peu.

J’apprends qu’elle ne sort pas de l’École normale et qu’elle a été heureuse, pour entrer définitivement dans les cadres, d’accepter une nomination provisoire à ce poste déshérité.