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Je sors et ils me font un bout de conduite par leur chemin tortueux.

Sur la route, ayant assuré mon chapeau, je saute en selle. Et comme ils me regardent partir, je prends tout de suite de la vitesse malgré une côte assez raide. J’ai vu un jour un clown qui franchissait une table de son pas ordinaire. Toute la difficulté est de masquer ses efforts. Le corps droit, sans raideur, mais sans contorsions, je monte à terribles coups de jarrets. En haut, je me penche pour prendre le virage comme après une descente rapide.

Puis j’ai le droit de souffler. La route maintenant est plate, droite et dure comme un parquet. Lurgé est à trois kilomètres ; j’aperçois le clocher au-dessus des arbres. J’y serai quand je voudrai. Le vin blanc de M. Poinçon a mis dans mes muscles une gaieté nouvelle.

Ma machine a un roulement silencieux et doux. Comme elle avait déjà servi, j’appréhendais trouver en elle des habitudes et des caprices ; mes craintes étaient vaines ; les retouches de Bijard lui ont sans doute refait une virginité.

Dans la lumière tempérée, sur la route pailletée de micas, ivre d’une ivresse légère faite de santé et de jeunesse, j’active ma bête. Et, sous mon étreinte, je la sens frémir et donner tout ce qu’elle peut, ma bête intelligente et docile.

Ma bête ?

La bête, c’est moi.