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Trouverai-je jamais une encre assez noire pour décrire ces luttes avec la phrase qu’on a lancée dix fois, qui va enfin s’envoler tout de bon, bulle légère, et qui, par la faute d’un mot accroché on ne sait où, retombe, flac ! à deux mètres, pâte azyme !

Oh ! portes, portes lugubres de ma cellule, comme je me suis cassé les ongles à vos durs verrous ! Murs armés de tessons, grands murs lisses qui cachiez la fine lumière, que d’hésitation avant les bonds maladroits et vains que je faisais pour vous franchir !

Que de griffonnages ! que de parafes en marge ! que de taches d’encre qui devenaient des diables ou des pipes ou des coquilles de moules ! que de signatures de Mahomet tracées d’un seul coup de sabre, je veux dire d’un seul coup de plume-lance, dans le désert sans oasis qu’était ma page blanche ! et, surtout, que de pélicans ! grands dieux ! que de pélicans ! En ai-je dessiné !

J’avais pour ces stupides oiseaux une prédilection singulière. Et, chose plus singulière encore que je défie le premier aussi bien que le dernier venu des psychologues d’expliquer, ces bestioles s’associaient dans ma pauvre cervelle à un vers de Voltaire.

Cela devenait, à de certains moments, une véritable obsession, une scie. Le thème de la dissertation était à peine dicté, que j’entendais geindre en moi un Lusignan cacochyme :

Mon Dieu ! j’ai combattu soixante ans pour ta gloire !