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n’avait peut-être pas vue, qu’il ne connaissait peut-être pas lui-même, que ses proches les plus proches ne connaissaient point, qu’il réussissait peut-être à se masquer à lui-même, inconsciemment ou consciemment, innocemment ou non, mais qui, par le seul événement du temps, par le seul écoulement de la durée, par le seul développement, par la seule floraison, par le seul bourgeonnement, par la seule arborescence et par le seul éclatement de la race comme un poison non pas inoculé mais indigène et qui se révèle enfin, qui se décèle ouvre enfin la tige, se fend à l’extérieur, ouvre au dehors les secrets anciens, brusquement jaillit en une postérité, en un peuple d’accusateurs. Il y a là un phénomène singulièrement poignant, une sorte de réponse, moderne, à cette opération, qui était capitale chez les anciens, de la malédiction paternelle. C’est une sorte de malédiction filiale, qui remonte. C’est vraiment une opération réciproque, homothétique, antagoniste, de l’ancienne malédiction paternelle. Cette ancienne malédiction paternelle était une opération qui sommairement consistait en ce que le père faisait appel, contre sa propre descendance, et avec une autorité d’autant plus puissante que c’était lui le père et que c’était sa propre descendance, par une application, par un retournement de son autorité paternelle, par une application retournée, dans l’insuffisance de ses moyens paternels propres, à des puissances extérieures. Symétriquement cette nouvelle malédiction filiale, cette réprobation moderne est une opération qui consiste à ce que le fils prouve, et réprouve, contre le père, et avec une autorité d’autant plus poignante et d’autant plus monstrueuse que c’est