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Puis, sont venues les années de grabuge ; je me suis emballé après Rochefort, et le 4 septembre, j’ai braillé avec tout le monde : « Vive la République ! »

Je croyais qu’elle allait nous donner à bouffer, — l’ancien de 48 me l’avait dit, — je t’en fous !

Ensuite, y a eu le siège : là, j’ai pris l’uniforme, être soldat comme ça, ça m’allait, crédien !

D’ailleurs, c’était pour défendre Paris ; on a eu les belles choses que vous savez : les factions aux fortifs, les queues à la porte des boulangers, et nom de dieu, la capitulation !

J’en ai pleuré, vrai !

Après, je me suis mis avec la Commune, j’ai redéfendu Paris, me suis foutu des trempes avec les Versaillais. Et j’ai eu la veine de ne pas être pigé.

De suite après, je me suis installé dans mon échoppe et tout en ressemelant les ripatons du quartier, j’ai politicaillé.

J’ai été successivement pour Thiers, pour Barodet, pour Gambetta, pour Clémenceau, pour Rochefort, pour Joffrin, pour Vaillant.

J’étais pour me foutre à la queue du cheval de Boulanger, quand j’ai réfléchi et me suis dit :

« Et, merde, on se fout de toi, mon vieux Peinard !

« T’as trimé toute ta vie ; t’as défendu la patrie en 70 ; t’as fait tout ce que tu devais faire, et t’es toujours dans la mélasse.

« Tous les jean-foutre en qui tu as eu confiance t’ont foutu dedans, — faut pas continuer à faire le daim !

« On te raconte un tas de choses, on te promet plus de beurre que t’en pourras manger — et rien ne vient !

« Les réformes après lesquelles tu cours depuis que tu es au monde, c’est de la fouterie.

« Faut plus t’occuper d’élever des hommes au pouvoir, pour qu’ils te fassent des pieds de nez après.

« Faut faire ton bonheur toi-même ! »

Alors j’ai passé une grande revue de tout ce qui m’est arrivé, depuis que je roule ma bosse par le monde.

Je me suis vu, braillant à pleine gueule, sans raison, — après n’importe quoi !

Puis, après des réflecs à perdre haleine, j’ai repris mes sens, grâce à une bonne chopine, et j’ai conclu : « Faut faire ton bonheur toi-même !

« Le moyen, c’est un brin de chambardement qui vienne mettre les choses en l’état où elles devraient être. »

Voilà, nom d’un foutre, ce que je dégoisais en 89. À cela, aujourd’hui, j’ai pas un iota à retirer !

Quand les jean-foutre de la haute ont vu que le caneton se développait, ils m’ont cherché pouille, — ils ont trouvé à qui parler ! Grâce aux copains gérants qui ont paré leurs coups de surins légaux, le caneton a résisté.

Autre chose, le Père Peinard a eu une sacrée veine : un peu partout, dans les cambrousses, comme dans les grandes villes, il s’est trouvé des bons bougres à qui il a tapé dans l’œil. Et les gars lui ont donné un bath coup d’épaule !

C’est pas le tout, en effet, de pisser des tartines à tire-larigot.

Faut encore que ces tartines soient lues, mille bombes !

C’est à ça que se sont attelés les fistons. Et pourquoi donc se sont-ils tant grouillés ?

Parce que le père Peinard n’a pas froid aux châsses, mille marmites !

Parce qu’il gueule toutes les vérités qu’il sait ; même celles qui sont pas bonnes à dire ! Y en a qui vont jusqu’à affirmer qu’il a le caractère si mal bâti, que c’est surtout celles-là qu’il dégoise.

Et puis, parce qu’il y a autre chose, nom de dieu ! Si le père Peinard gueule dur et ferme, c’est pas par ambition personnelle : la politique… ouh là là, faut pas lui en parler !

Oui, voilà la grande binaise. Si les bons bougres gobent le père Peinard,