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sortie, y a du bon sens dans ma caboche !… »

Naturellement, en ma qualité de gniaff, je ne suis pas tenu à écrire comme les niguedouilles de l’Académie : vous savez, ces quarante cornichons immortels, qui sont en conserve dans un grand bocal, de l’autre côté de la Seine.

Ah, non alors, que j’écrirai pas comme eux ! Primo, parce que j’en suis pas foutu, — et surtout parce que c’est d’un rasant, je vous dis que ça…

Et puis, il faut tout dire : la grammaire que j’ai eu à l’école ne m’ayant guère servi qu’à me torcher le cul, je ne saisis pas en quel honneur je me foutrais à la piocher maintenant.

Il est permis à un zigue d’attaque, de la trempe de bibi, de faire en jabotant ce que les gourdes de l’Académie appellent des cuirs. Et j’en fais, mille tonnerres, je suis pas bouiffe pour des prunes !

Pourquoi donc que je m’en priverais en tartinant ?

J’ai la tignasse embroussaillée, je la démêle, comme on dit, avec un clou, — je vois pas pourquoi je bichonnerais mes flanches ?

Est-ce des rabâchages de châtrés que je colle sur le papier ? — Je le pense pas, bon sang !

Eh bien, pour lors, à quoi ça serait utile de pommader mes phrases, puisqu’elles sont pas pondues pour les petits crevés, qui font leur poire un peu partout ?

Les types des ateliers, les gas des usines, tous ceux qui peinent dur et triment fort, me comprendront. C’est la langue du populo que je dégoise ; et c’est sur le même ton que nous jabottons, quand un copain vient de dégotter dans ma turne et que j’allonge mes guibolles par-dessus ma devanture, pour aller siffler un demi-setier chez le troquet du coin.

Être compris des bons bougres, c’est ce que je veux, — pour le reste, je m’en fous !



Après ce dégoisage, comme il est de bon ton dans le premier numéro d’un canard de dire d’ousqu’on vient et ousqu’on va, je me fendis à la bonne franquette, du flanche ci-dessous, qui est, comme qui dirait

MA PROFESSION DE FOI

Profession. — Je l’ai déjà dite, au jour d’aujourd’hui, rapetasseur de savates ; si vous préférez, gniaff, ou mieux, bouiffe.

Dans les temps, j’ai roulé ma bosse dans tous les patelins ; j’ai fait un tour de France épatant, nom de dieu !

Pas besoin de dire que j’ai mis la patte à trente-six métiers.

Naturellement, j’ai pas dégotté de picaillons ; c’est pas en turbinant qu’on les gagne.

Il n’y a qu’un moyen pour faire rappliquer les monacos dans sa profonde : faire trimer les autres à son profit.

Ce fourbi-là m’a toujours dégoûté, aussi j’ai pas percé.

Je n’en ai pas de regret : je préfère être resté prolo.

Pourtant, dans la flotte des métiers que j’ai faite il en manque un, celui de soldat.

Ça m’a toujours pué au nez d’être troubade. N’empêche qu’à l’époque, j’étais bougrement patriote, allez !

Mais, en jeune Peinard, ça ne me bottait pas d’aller faire connaissance avec le flingot, de faire par le flanc droit, par le flanc gauche, et de trimballer Azor.

Seulement, j’étais bien bâti, fortement campé sur mes guibolles.

D’autre part, mon paternel n’avait pas jugé à propos de tourner de l’œil pour m’exempter. Pas de cas potable à faire valoir, et surtout, pas de galette pour acheter un homme…

Nom de dieu, fallait se patiner, si je ne voulais pas partir, ainsi que mes frères et amis.

Naturellement, je ne tenais pas à me foutre un doigt en l’air, comme un tas de pochetées de la campluche, — ah non, alors !