Page:Ozanam - Œuvres complètes, 3e éd, tome 5.djvu/464

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que les hommes ne savent mourir que pour ce qu’ils ne voient pas. Il ne paraît pas non plus qu’ils sachent vivre pour autre chose. S’ils travaillent, c’est en vue de leurs fils qui les enseveliront, de la postérité dont ils ne sauront rien. Et ce qui semble la dernière des folies se trouve la souveraine règle de toute justice, savoir, le sacrifice désintéressé de soi-même au bien d’autrui, au bien dont on ne jouira pas, dont on ne sera pas témoin. En même temps que j’y découvre le principe de toute moralité, j’y vois celui de tout art et de toute science. Que fait la science, que de chercher une vérité absente ? et que veut l’histoire, et qu’essayons nous encore nous-même en ce moment, sinon de retrouver par une tentative téméraire, les pensées, les passions, les rêves d’un temps qui n’est plus, que nous ne vîmes pas, et que nous connaîtrons toujours mal ? Qui a jamais contemplé la beauté parfaite ? et cependant cet idéal qui ne se laisse pas voir pousse l’un après l’autre, au plus dur labeur, des générations de peintres, de sculpteurs, d’architectes. On dirait qu’ils se proposent un type impossible, tout exprès pour leur être un sujet de désespoir, mais en même temps un sujet de lutte et d’efforts. Tout le moyen âge a rêvé une cathédrale dont les flèches atteignissent cinq cents pieds c’est le plan primitif de celles de Strasbourg et de Cologne. La cathédrale invisible ne s’est jamais réalisée mais sa pensée poursuivait, recrutait des