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on y foule des herbes épineuses, mais qui, en se brisant sous le pied, exhalent un parfum inconnu aux gens de la plaine. Dante est bien plus engagé que Jacopone dans le commerce des lettres : il répudie les dialectes provinciaux, pour s’attacher à ce qu’il appelle l’idiome des cours. Toutefois, quand il s’agit de composer son style, ne croyez pas qu’il se contente de ce vocabulaire affadi que les rimeurs du temps se passaient de main en main. Lui aussi va chercher le langage poétique à sa véritable origine, c’est-à-dire dans le peuple il ramasse les fortes expressions, les rudes, métaphores que le moissonneur a laissé tomber sur le sillon, et le pèlerin sur le bord de la route. Il. n’hésite pas, j’oserai même dire-pas assez, à recueillir le terme trivial , dont il aime la saveur amère et sauvage. C’est ainsi qu’il se fait sa langue, et qu’il fixe en même temps celle de son pays. Car voici en quoi Dante me semble principalement redevable au poëte franciscain. Nourri dans les écoles, et pénétré de la lecture des classiques, non de Virgile seulement, mais d’Ovide, de Lucain, de Stace, Dante fut tenté d’écrire en latin, et composa d’abord en hexamètres le début de l’Enfer. Mais, quand il considérait la vanité, l’avarice des lettrés contemporains, il s’indignait de veiller et de pâtir pour le plaisir de ces esprits dégénères. Dans ces perplexités, il eut sous les yeux l’exemple de Jacopone, il vit que la foi n’enseignait pas de mystères