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perfides œillades vont chercher des victimes. Tu dis que tu te pares pour ton seigneur mari mais ta pensée te trompe, car tu ne gagnes point son amour. Que tu regardes seulement quelque sot, et ton mari a le soupçon dans le cœur. Puis tu te plains s’il te frappe, s’il te garde avec jalousie, s’il veut savoir les lieux que tu hantes, et en quelle compagnie; s’il te tend des embûches et te tient pour coupable – Il lui viendra une telle tristesse, qu’elle lui desséchera toutes les veines; il te traînera dans une chambre d’où le voisinage ne puisse t’entendre, et là tu trouveras la mort. » N’accusons pas le poète d’exagération, et rappelons-nous que nous sommes au siècle de Françoise de Rimini[1]. Si Jacopone jugea sévèrement la société, nous savons qu’il ne flatta pas l’Église. Quand ce déserteur du monde vint à découvrir dans le cloître plusieurs des vices qu’il avait cru fuir, son espérance trahie lui arracha des cris vengeurs. Sa muse irritée prit la férule des Pères du désert, et s’en alla de cellule en cellule châtier les déréglements des religieux. Un jour, elle arrête au passage l’âme d’une nonne qui vient de mourir en odeur de sainteté. Cette âme a vécu cinquante ans dans la virginité, dans le silence, dans le jeûne. « Mais je ne fus pas humble, dit-elle quand je m’entendais

  1. Jacopone, I, 6.