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L’ÂME. « Et moi je commencerai les lamentations d’une cruelle douleur. C’est l’amour qui vous a tué, vous êtes mort pour mon amour. Ô amour en délire, à quel bois as-tu suspendu le Christ[1]

Nous avons accompagné Jacopone dans un monde idéal qu’il compose à son gré, tout peuplé d’anges et de vertus, tout rayonnant de vérités éternelles. Il est temps de descendre à sa suite dans le monde des réalités, et de le voir aux prises avec les hommes tels que le péché les a faits. Jacopone ne ressemble point à cet admirable Angelico de Fiesole, qui, après avoir tracé d’un pinceau immortel les joies du paradis, échoue à la peinture de l’enfer, et qui ne peut s’empêcher de prêter son innocence aux damnés et sa candeur aux démons. Au contraire, quand le pénitent de Todi s’arrache à ses extases pour retracer les désordres de la société contemporaine, telle est la force de ses tableaux, qu’on se demande s’il n’en a pas volontairement chargé les couleurs.

On ne sait pas assez quelle fut la part du mal au moyen âge. Durant ces siècles où l’on a coutume de se représenter le christianisme régnant sans combat sur les âmes pacifiées, deux causes mal connues firent le péril de la foi, et le scandale des mœurs. D’un côté, c’étaient les souvenirs du paga-

  1. Jacopone, lib. IV, 6.