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de saint Bonaventure et de saint François : je ne m’étonne donc plus qu’il les ait continués, surpassés, et que ce converti, abîmé dans les prières et dans les jeûnes, y ait trouvé des vers immortels.

Il avait à choisir entre les exemples de ses deux maîtres, entre les chants italiens de saint François et les séquences latines de saint Bonaventure. La séquence, en vers syllabiques rimes, plaisait aux oreilles du peuple par une cadence plus saisissable que la prosodie savante des anciens. Introduite dans l’Eglise des le temps de saint Augustin, cultivée dans les écoles du moyen âge, elle venait d’atteindre au treizième siècle le plus beau moment de sa floraison. Saint Thomas avait écrit ses admirables proses pour la fête du Saint-Sacrement, et le Dies irae, qu’on attribuait au pape Innocent III, faisait gronder ses strophes menaçantes sous les voûtes des églises. Jacopone y fit gémir la Vierge désolée, et composa le Stabat Mater dolorosa. La liturgie catholique n’a rien de plus touchant que cette complainte si triste, dont les strophes monotones tombent comme des larmes si douce, qu’on y reconnaît bien une douleur toute divine et consolée par les anges ; si simple enfin dans son latin populaire, que les femmes et les enfants en comprennent la moitié par les mots, l’autre moitié par le chant et par le cœur. Cette œuvre incomparable suffirait à la gloire de Jacopone : mais en même