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noir. Si tu ne sais t’en défendre, tu chanteras un triste chant[1]. »

Les cris d’alarme de Jacopone ne trouvaient que trop d’accès auprès de Célestin, déjà effrayé des périls du pontificat. Le vieil anachorète se vit avec terreur seul au sommet de ce tourbillon d’intérêts, de passions et de discordes qui menaçait d’emporter la chrétienté, et que la main des papes les plus fermes avait eu peine à contenir. Au bout de cinq mois, il abdiqua et reprit le chemin de son désert. Les cardinaux lui donnèrent pour successeur Benoît Gaetani, si célèbre et si calomnié sous le nom de Boniface VIII. Le caractère énergique de Boniface, sa science profonde du droit canonique et civil, une longue vie usée dans les affaires contentieuses de l’Église, tout en lui annonçait un homme d’État. Mais il était permis de craindre que les qualités du prince séculier ne gênassent l’âme du prêtre, et que ce canoniste consommé ne poussât quelquefois l’amour de la justice jusqu’à l’oubli de la miséricorde. Telles pouvaient être les appréhensions de Jacopone, lorsque le Pape, troublé par une vision singulière, le consulta. Il avait vu, disait-il, une cloche sans battant, et dont la cir-

  1. Wadding, ad ann. 1294. Jacopone da Todi, Poesie spirituali lib.I sat.15 :

    Che farai, Pier da Morrone ?
    Se’venuto al paragone.
    Vederemo il lavorato
    Che in cella hai contemplato

    .