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les appelant non-seulement sa mère et sa soeur, mais sa vie, sa lumière et les délices de son âme enfin le retour dont on le paye, les soins charmants qui préviennent ses goûts et ses désirs surtout les repas exquis, les tables couronnées de roses, chargées de viandes et de fruits, où Fortunat finissait par s’oublier, s’il faut croire à son aveu, quand il s’excuse de quelques vers improvisés après boire. « Mes yeux demi-fermés, dit-il, croyaient voir la table nager dans le vin pur, et ma muse trop égayée n’était pas sûre de sa main. » Une justice un peu rigoureuse a peut-être exagéré les faiblesses du poète, en prenant au mot ses hyperboles ; on a sévèrement traité ses quatorze livres de poésies, trop atteints, comme il le dit lui-même, de la rouille de leur temps. Sans doute Fortunat ne compte point parmi les grands esprits ; il confesse son ignorance, et qu’il a bu seulement quelques misérables gouttes aux fontaines de la rhétorique et de la grammaire. Toutefois, cet Italien, cet émigré d’une contrée plus polie et d’une civilisation plus délicate, n’est point aussi inutile qu’on le pense à Poitiers, au cœur de l’Aquitaine, auprès du sanctuaire de saint Hilaire sur lequel toute la Gaule tenait les yeux fixés : il y remplit une mission qu’on n’a point assez reconnue, comme gardien des traditions du monde lettré, et comme instituteur des barbares[1] .

  1. M. Ampère a consacre deux chapitres (Histoire littéraire