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Quand les nouvelles églises du Nord s’élevèrent, le clergé franc ne se trouvait pas en état de les évangéliser. Les lois mêmes, qui lui recommandaient si sévèrement la science et la discipline,-faisaient voir qu’il n’était ni assez savant ni assez discipliné pour ce difficile ouvrage de policer une nation. Comment faire des apôtres avec des prêtres qu’il fallait exhorter à être « prédicateurs et non des prédateurs, » et que tous les canons des conciles ne pouvaient arracher ni aux plaisirs bruyants ni aux armes ? Après trente ans de combats, il n’y avait peut-être pas un de ces clercs, fils de guerriers ou guerriers eux-mêmes, sur lequel les Saxons n’eussent à venger des injures. Les inimitiés anciennes, irritées par tant de revers et dé supplices, ne pouvaient s’éteindre si facilement, que les opprimés voulussent recevoir de leurs vainqueurs une doctrine qui ordonnait de les aimer. En même temps, l’émigration irlandaise s’était ralentie. D’ailleurs les moines de saint Colomban, plus exercés a la contemplation qu’à l’action, plus propres à donner l’exemple qu’à propager la parole, Romains par l’esprit, Celtes par le cœur, auraient encore été des étrangers, et par conséquent des ennemis aux yeux des Saxons, défiants comme tous les vaincus. Les meilleurs esprits désespéraient de la conquête des âmes, quand la possession du pays avait coûté si cher ; et l’un d’eux se plaint « que l’on perde inutilement sur cette terre ingrate des efforts qui