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grès dans les institutions sociales. L’ordre de la société repose sur deux vertus : justice et charité. Mais la justice suppose déjà beaucoup d’amour ; car il faut beaucoup aimer l’homme pour respecter son droit qui borne notre droit et sa liberté qui gêne notre liberté. Cependant la justice a des limites ; la charité n’en connaît pas. Pressé par ce commandement de faire à autrui le bien qu’il se veut à lui-même, et se voulant un bien infini, celui qui aime les hommes ne trouvera jamais qu’il ait assez fait pour eux jusqu’à ce qu’il ait consumé sa vie dans le sacrifice et qu’il meure en disant : « Je suis un serviteur inutile. »

Enfin, l’espérance est le principe du progrès dans les arts. Nous avons vu la beauté parfaite fuir devant l’imagination humaine qui la poursuit. Mais nul mieux que saint Augustin n’a exprimé la peine de l’âme devant cette fuite éternelle de l’idéal qu’elle désire éternellement. « Pour moi, dit-il, presque toujours mon discours me déplaît ; car je suis avide d’un mieux que je crois posséder dans ma pensée… L’idée illumine mon esprit avec la rapidité de l’éclair ; mais le langage ne lui ressemble point, il est lent, tardif, et, tandis qu’il se déroule, l’idée est rentrée dans son obscurité mystérieuse[1].  » La plainte de saint Augustin, c’est la plainte de tous ceux qui ont rêvé la beauté, qui l’ont cherchée et qui sont assez grands pour se rendre le témoignage qu’ils ne l’ont jamais atteinte ; c’est

  1. Saint Augustin, de Erudiendis Rudibus.