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remonter à leur source. Le sceau de la poitrine devait fermer le cœur aux passions : Manès, en effet, interdisait le mariage et condamnait la procréation des enfants ; multiplier l’espèce humaine, propager cette longue suite de générations, qu’était-ce autre chose que continuer la captivité divine, envoyer de nouvelles âmes languir et gémir sur la terre ? Aussi était-ce là le plus grand crime contre l’âme de Dieu qu’il fallait aider dans sa délivrance[1].

Voilà les principes fondamentaux du manichéisme, et vous en voyez toute l’immoralité. Ces distinctions de trois sortes d’âmes, ces diverses classes d’hommes appelés les uns élus, les autres auditeurs, les non-manichéens, regardés comme retranchés de toute lumière, tout ce système n’est qu’un outrage à la conscience humaine. Il était interdit de donner l’aumône à quiconque n’était pas de la secte, car c’était lui donner le moyen de se nourrir, de faire entrer dans son corps impur, matériel, des substances qui, mises sur les lèvres d’un manichéen, se seraient purifiées et élevées vers Dieu[2]; cette flétrissure imposée à toute la nature déshonorait, dégradait l’ouvrage de Dieu ; il en résultait l’interdiction inévitable de la propriété, qui n’était qu’un lien pour fixer l’homme à la terre, l’enchaîner au sol, à cette nature corrompue ; la glèbe était maudite, et aussi celui qui l’ouvrait avec le soc de la char-

  1. S. Aug., de Moribus manichæorum, l. II. — De Hæresibus, passim.
  2. De Moribus manichæorum, l. II, c. LIII.