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d’un homme travaillant pour le public. Ce n’est pas tout : lorsqu’il arrive aux saint Columban, aux saint Boniface, à ces hommes d’un courage et d’une vertu héroïques, d’écrire en vers, la mythologie revient sous leur plume. On a reproché à Dante la mythologie de son Enfer comme une invention pédantesque qui introduisait la science dans l’art, qui n’était propre qu’à étonner les esprits… Mais Dante suivait l’inspiration, le goût, les préoccupations des hommes de son temps ; bien loin d’être en ceci pédantesque, il est populaire, il obéit à un peuple qui croit encore à toutes ces choses, à la vertu secrète cachée dans la statue de Mars, aux oies du Capitole et aux ancilia. Les dieux anciens ont seulement changé de forme, ils sont devenus des démons, des anges déchus ; mais ils sont toujours là, et le poëte les cite parce qu’il y croit ; seulement, quand on avance dans le Purgatoire et le Paradis, on sent que la poésie commence sa véritable destinée.

Il faudra traverser le moyen âge, la renaissance, les querelles des jansénistes et des molinistes, des anciens et des modernes, pour en finir avec la mythologie, et aujourd’hui même il n’est pas bien sûr que nous en ayons fini. Il faudra tout ce temps, dans la religion, pour établir la foi triomphante au-dessus du symbole ; dans le droit, pour rendre l’esprit maître de la lettre et l’équité souveraine au milieu des changements et de l’arbitraire des lois passagères ; dans la littérature, pour rendre la pensée maîtresse de la forme et indépendante de la tradition.