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cet homme, venu dans un siècle chrétien, par la puissance d’une imagination prodigieuse, vit encore tout entouré des souvenirs de l’antiquité païenne, et, de même que les dieux ne marchent sur la terre qu’entourés de nuages, lui ne parle qu’entouré de fables qui lui dérobent la vue de la vérité. Nous sommes à une époque où de toutes parts les temples commencent à être fermés, excepté à Rome, où cependant le pêcheur de Galilée a vaincu le Jupiter Tarpéien. Claudien n’en commence pas moins une Gigantomachie, un poëme destiné à chanter la victoire de Jupiter sur les Géants. Le temps approche où le temple de Cérès à Catane va s’ouvrir pour recevoir sur ses autels l’image de la Vierge Marie, et Claudien s’occupe à composer un poëme en trois livres sur l’enlèvement de Proserpine… Son âme s’échauffe, il voit les temples s’ébranler, l’inspiration des trépieds de Delphes a passé sur ses lèvres ; que va-t-il en sortir ? Quelque défense éloquente de ses dieux attaqués, quelque victorieuse apologie qui viendra se placer à la suite de celles de Symmaque et réfuter celles de tant de glorieux confesseurs et apologistes ? Non, il n’en est rien : tout ce bruit, tout cet éclat, c’est pour nous apprendre comment le dieu des enfers enleva, dans les champs d’Enna, la fille charmante de Cérès :

Inferni raptoris equos afflataque curru
Sidera Tænario, caligantesque profundæ
Junonis thalamos audaci prodere cantu
Mens congesta jubet[1]

  1. De Raptu Proserpinæ, l. I, v. 1-4.