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saint Augustin avait surpris le fond de leurs pensées, ou plutôt de leurs passions, quand il leur prêtait ce langage, qui est celui des matérialistes de tous les siècles : « Que nous importent, disaient-ils, des vérités inaccessibles à la raison des hommes ! Ce qui importe, c’est que l’État soit debout, qu’il soit riche, et surtout qu’il soit tranquille. Ce qui nous touche souverainement, c’est que la prospérité publique augmente les richesses qui servent à tenir les grands dans la splendeur, les petits dans le bien-être, et par conséquent dans la soumission. Que les lois n’ordonnent rien de pénible, qu’elles ne défendent rien d’agréable ; que le prince s’assure l’obéissance des peuples en se montrant, non le censeur chagrin de leurs mœurs, mais le pourvoyeur de leurs plaisirs. Que les belles esclaves abondent sur les marchés. Que les palais soient somptueux, qu’on multiplie les banquets, et que chacun puisse boire, regorger, vomir jusqu’au jour ! Qu’on entende partout le bruit des danses, que les acclamations joyeuses éclatent sur les bancs des théâtres ! qu’on tienne pour les vrais dieux ceux qui nous ont assuré cette félicité ! Donnez-leur le culte qu’ils préfèrent, les jeux qu’ils veulent : qu’ils en jouissent avec leurs adorateurs ! Nous leur demandons seulement de faire qu’une telle félicité soit durable et n’ait rien à craindre ni de la peste ni de l’ennemi[1]. »

  1. S. Augustin, de Civit. Dei, II, 20.