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suade à ce grand peuple d’honorer ainsi ses ancêtres. Les sages ne résistent pas à l’endurcissement de la foule. Cicéron, un moment troublé par quelque scrupule d’humanité, n’ose pas condamner absolument des jeux si instructifs pour une nation guerrière. Pline le Jeune, un homme bienfaisant et sage, félicite Trajan d’avoir donné « non plus des spectacles énervants, mais des plaisirs virils, faits pour ranimer dans les âmes le mépris de la mort et l’orgueil d’une blessure bien placée. » Mais, pour l’humiliation de cette cruelle sagesse, il arriva que la valeur militaire des Romains diminua dans la même mesure que les jeux sanglants se multiplièrent. Les temps de la République n’avaient jamais vu plus de cinquante paires de gladiateurs en un jour : l’empereur Gordien en donna cinq cents. Les Goths étaient aux portes quand les préfets de Rome s’occupaient encore d’approvisionner l’arène et de se faire livrer un nombre suffisant de prisonniers pour l’amusement de la ville éternelle[1].

Le paganisme tout entier s’était donc réfugié dans les spectacles : il y fit une défense désespérée. Il y défiait l’éloquence des Pères, il leur disputait les âmes, il continuait à sa manière l’éducation de la société ; et c’est là surtout qu’on peut le juger par ses œuvres. Les païens eux-mêmes ont avoué que la passion du cirque

  1. Tertullien, Apologetic., 15 ; Prudence, Contra Symmachium, lib. I, vers. 279 ; Cicéron, Tusculan. quæst., II, 17 ; Pline, Panegyric, 33 ; Xiphilin, in Trajano ; Capitolin, in Gordiano. Cf. de Champagny, le Monde romain, II, 180 et suiv.