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matique ; ce peuple n’aimait pas à s’émouvoir en vain. Il fallut pour le désennuyer que l’idéal fît place à la réalité ; il fallut déshonorer les femmes sur la scène, et, si le drame était tragique, mutiler au dernier acte le condamné qui remplissait le rôle d’Atys, ou brûler celui qui jouait Hercule. Martial vante une fête impériale où l’on vit Orphée charmant de sa lyre les montagnes de la Thrace, entraînant sur ses pas les arbres et les rochers attendris, et, pour finir, mis en pièces par un ours. Les cris de l’acteur, qui ranimait ainsi les langueurs de l’ancienne tragédie, étaient accompagnés de chants et de danses. Trois mille danseuses, comme autant de prêtresses, desservaient les théâtres de Rome ; on les retenait dans la ville en temps de disette, quand on chassait les grammairiens. Le peuple-roi ne pouvait se passer de ses belles captives ; il les couvrait d’applaudissements et de fleurs : seulement aux fêtes de Flore, il exigeait qu’elles dépouillassent leurs vêtements. Et les sénateurs assis aux premières places ne s’indignaient pas, et le rhéteur Libanius écrivait une apologie des danseurs et des mimes ; il trouvait leur justification dans les exemples des dieux, il les louait de continuer l’éducation qu’autrefois les poëtes donnaient aux peuples. Et le parti païen était assez puissant pour obtenir qu’il fût défendu aux acteurs de recevoir le baptême, si ce n’est en danger de mort, de peur que, devenus chrétiens, ils n’échappassent aux plaisirs publics dont ils étaient les esclaves[1]

  1. Tertullien, de Spectaculis, 10, Apologet., 15 ; Martial, Spectac,