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à sa source même. Il est aussi plus agréable de cueillir un fruit en attirant à soi la branche qui le porte que de le prendre sur un plat ciselé, et pourtant, sans la faute que j’ai faite, sans cet exil que je subis à cause de mes vers, ce discours que j’ai lu, je l’aurais entendu de ta bouche. Peut-être même, comme cela m’est arrivé souvent, choisi parmi les centeniers, aurais-je été l’un de tes juges. Ce plaisir eût été bien plus vif à mon cœur, quand, entraîné par la véhémence de tes paroles, je t’aurais donné mon suffrage. Mais puisque le sort a voulu que, loin de vous, loin de ma patrie, je vécusse au milieu des Gètes inhumains, je t’en conjure, du moins, pour tromper ma douleur, envoie-moi souvent le fruit de tes études, afin qu’en te lisant, je me croie près de toi. Suis mon exemple, si j’en suis digne ; imite-moi, toi qui devrais être mon modèle. Je tâche, moi qui depuis longtemps ne vis plus pour vous, de me faire revivre dans mes œuvres. Rends-moi la pareille, et que je reçoive moins rarement ces monuments de ton génie, qui doivent toujours m’être si précieux. Dis-moi cependant, ô mon jeune ami, toi dont les goûts sont restés les mêmes, ces goûts ne me rappellent-ils pas à ton souvenir ? Quand tu lis à tes amis les vers que tu viens d’achever ou quand, suivant la coutume, tu les leur fais lire, ton cœur se plaint-il quelquefois, ne sachant ce qui lui manque ? Sans doute il sent un vide qu’il ne peut définir. Toi qui parlais beaucoup de moi quand j’étais à Rome, le nom d’Ovide vient-il encore quelquefois sur tes lèvres ? Que je meure percé des flèches des Gètes (et ce châtiment, tu le sais, pourrait suivre de près mon parjure) si, malgré mon absence, je ne te vois presque à chaque instant du jour. Grâce aux dieux, la pensée va où elle veut. Quand, par la pensée, j’arrive, invisible, au milieu de Rome, souvent je parle avec toi, souvent je t’entends parler ; il me serait difficile de te peindre la joie que j’en éprouve, et combien cette heure fugitive m’offre de charmes. Alors, tu peux m’en croire, je m’imagine, nouvel habitant du ciel, jouir, dans la société des dieux, du céleste bonheur. Puis, quand je me retrouve ici, j’ai quitté le ciel et les dieux, et la terre du Pont est bien voisine du Styx. Que si c’était malgré la volonté du destin que j’essayasse d’en sortir, délivre-moi, Maxime, de cet inutile espoir.


LETTRE VI

À UN AMI

Des rives du Pont-Euxin, Ovide envoie cette courte épître à son ami, qu’il a presque nommé. Mais s’il eût été assez imprudent pour écrire