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LETTRE PREMIERE

À SA FEMME

Ô mer sillonnée pour la première fois par le vaisseau de Jason ! Et toi, contrée que se disputent tour à tour un ennemi barbare et les frimas, quand viendra le jour où Ovide vous quittera, pour aller, docile aux ordres de César, subir ailleurs un exil moins dangereux ! Me faudra-t-il toujours vivre dans ce pays barbare, et dois-je être inhumé dans la terre de Tomes ? Permets que je dise, sans troubler la paix (s’il en peut être aucune avec toi ) qui règne entre nous, terre du Pont, toi que foule sans cesse le coursier rapide de l’ennemi qui m’environne, permets que je le dise : c’est toi qui fais le plus cruel tourment de mon exil, c’est toi qui rends mes malheurs plus lourds â supporter. Jamais tu ne respires le souffle du printemps couronné de fleurs. Jamais tu ne vois le moissonneur dépouillé de ses vêtements. L’automne ne t’offre pas de pampre chargé de raisins, mais un froid excessif est ta température dans toutes les saisons. La glace enchaîne les mers qui te baignent, et les poissons nagent prisonniers sous cette voûte solide qui couvre les flots. Tu n’as point de fontaines, si ce n’est d’eau salée, boisson aussi propre peut-être à irriter la soif qu’à l’apaiser. Çà et là, dans tes vastes plaines, s’élèvent quelques arbres rares et inféconds, et tes plaines elles-mêmes semblent être une autre mer. Le chant des oiseaux y est inconnu, mais on y entend les cris rauques de ceux qui se désaltèrent, au fond des forêts éloignées, à quelque flaque d’eau marine. Tes champs stériles sont hérissés d’absinthe, moisson amère, et bien digne du sol qui la produit. Parlerai-je de ces frayeurs continuelles, de ces attaques incessantes dirigées contre tes villes, par un ennemi dont les flèches sont trempées dans un poison mortel, de l’éloignement de ce pays isolé, inaccessible, où la terre n’offre pas