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tristes devoirs, à tes funérailles ; il a offert à tes restes de pompeux honneurs ; il a versé l’amome[1] odorant sur ton sein glacé, et, dans sa douleur, il a mêlé aux parfums des larmes abondantes ; enfin il a confié à la terre, et tout près de lui, l’urne où reposent tes cendres. S’il rend ainsi aux amis, qui ne sont plus, les devoirs qu’il doit à leurs mânes, il peut me compter aussi parmi les morts.


LETTRE X

À FLACCUS

Ovide, du fond de son exil, envoie le salut à son ami Flaccus, si toutefois on peut envoyer ce que l’on n’a pas ; car, depuis longtemps, le chagrin ne permet pas à mon corps, miné par les soucis rongeurs, de recouvrer des forces ; et pourtant je n’éprouve aucune douleur ; je ne sens pas les ardentes suffocations de la fièvre, et mon pouls bat comme de coutume. Mais mon palais est émoussé ; les mets placés devant moi me donnent des nausées, et je vois avec dégoût arriver l’heure des repas. Qu’on mette à contribution, pour me servir, la mer, la terre et l’air, on n’y trouvera rien qui puisse réveiller mon appétit. L’adroite Hébé, de ses mains charmantes, me présenterait le nectar et l’ambroisie, breuvage et nourriture des dieux, que leur divine saveur ne rendrait pas la sensibilité à mon palais engourdi, et qu’ils écraseraient, substances lourdes et indigestes, mon estomac sans ressort. Quelque vrai que cela soit, je n’oserais l’écrire à tout autre, de peur qu’on n’attribuât mes plaintes à un besoin de délicatesse recherchée. En effet, dans ma position, dans l’état actuel de ma fortune, les besoins de cette nature seraient bienvenus ! Je les souhaite, aux mêmes conditions, à celui qui trouverait que la colère de César fut trop douce pour moi. Le sommeil lui-même, cet aliment d’un corps délicat, refuse sa vertu bienfaisante à mon corps exténué. Je veille, et avec moi veille incessamment la douleur, qu’entretient encore la tristesse du jour. A peine en me voyant pourrais-tu me reconnaître ; "Que sont devenues, dirais-tu, ces couleurs que tu avais jadis ? " Un sang rare coule paisiblement dans mes veines presque desséchées, et mon corps est plus pâle que la cire nouvelle. Les excès du vin n’ont point causé chez moi de tels ravages, car tu sais que je ne bois guère que de l’eau. Je ne charge point de mets mon estomac, et si j’aimais la bonne chère, il n’y aurait pas au pays des Gètes de quoi satisfaire mes goûts. Les plaisirs si pernicieux de l’amour n’épuisent point mes forces ; la volupté n’habite pas dans la couche du malheureux. Déjà l’eau et le climat me sont funestes, et, par-dessus tout, les inquiétudes d’esprit, qui ne me laissent pas un moment. Si vous ne les soulagiez, toi et ce frère qui te ressemble, mon âme abattue supporterait

  1. Arbre de la hauteur du palmier, dont les fruits sont semblables à ceux de la vigne. On en tire un parfum très précieux. (Pline, liv. XII, ch. 13.)