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jouir de ceux de la campagne. Je ne regrette pas les champs que j’ai perdus, ni les plaisirs admirables du territoire de Péligne[1], ni ces jardins situés sur des collines couvertes de pins, et que l’on découvre à la jonction de la voie Clodia et de la voie Flaminia[2]. Ces jardins, je les cultivai, hélas ! je ne sais pour qui, et j’y puisai moi-même, je ne rougis pas de le dire, l’eau de la source, pour en arroser les plantes. On peut y voir, s’ils existent encore, ces arbres greffés par mes mains, et dont mes mains ne devaient plus cueillir les fruits. Voilà ce que j’ai perdu, et plût aux dieux qu’en échange, le pauvre exilé eût du moins un petit champ à cultiver ! Que ne puis-je seulement voir paraître ici la chèvre suspendue aux rochers ! Que ne puis-je, appuyé sur ma houlette, moi-même être le berger de mon troupeau, et, pour disperser les chagrins qui m’obsèdent, conduire les bœufs labourant la terre, le front comprimé sous le joug recourbé ! J’apprendrais ce langage intelligible aux taureaux des Gètes, et j’y ajouterais les mots menaçants dont on stimule ordinairement leur paresse. Moi-même, après avoir guidé, avec des efforts mesurés, le manche de la charrue, et l’avoir enfoncé dans le sillon, j’apprendrais à jeter la semence sur cette terre retournée, et je n’hésiterais pas à sarcler le sol, armé d’un long hoyau ni à donner à mon jardin altéré une eau qui l’abreuve. Mais comment le pourrais-je, lorsqu’il n’y a entre l’ennemi et moi qu’un faible mur, qu’une simple porte fermée ? Pour toi, lorsque tu naquis, les Parques, et je m’en réjouis de toute mon âme, filèrent des jours fortunés. Tantôt, c’est le champ de Mars qui le retient, tantôt, tu vas errer à l’ombre épaisse d’un portique ou passer quelques rares instants au Forum, tantôt l’Ombrie te rappelle ou, porté sur un char qui brûle le pavé de la voie Appienne, tu te diriges vers ta maison d’Albe. Là peut-être formes-tu le voue que César dépose enfin sa juste colère et que ta campagne me serve d’asile. Oh ! mon ami, c’est demander trop pour moi ! sois plus modeste dans tes désirs ; je t’en conjure, mets un frein à leur entraînement trop rapide. Je demande seulement qu’on fixe mon exil dans un lieu plus rapproché de Rome et à l’abri de toutes les calamités de la guerre. Alors je serai soulagé de la plus grande partie de mes maux.


LETTRE IX

À MAXIME

À peine ai-je reçu la lettre dans laquelle tu m’annonces la mort de Celse[3], que je l’arrosai de mes larmes. Mais, ce qui est affreux à dire et ce que je croyais impossible, cette lettre, je l’ai lue malgré moi. Depuis que je suis dans le Pont, il ne m’est pas arrivé de plus triste nouvelle,

  1. Sulmone, patrie d’Ovide, est dans le pays des Pélignes.
  2. La voie Flaminia allait jusqu’à Ariminium, en traversant l’Ombrie, et se joignait à la voie Clodia à neuf ou dix milles de Rome.
  3. Aulus Cornelius Celsus, au rapport de Quintilien, fut un homme d’une vaste érudition. Il a écrit sur la rhétorique, sur l’art militaire et sur la médecine.