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ne plains pas Ovide parce qu’il est malheureux, plains-le du moins d’avoir mérité de l’être.


LETTRE VIII

À SÉVÈRE

Ô Sévère, ô toi, la moitié de moi-même, reçois ce témoignage de souvenir que t’adresse ton cher Ovide. Ne me demande pas ce que je fais ici ; tu verserais des larmes si je te racontais en détail toutes mes souffrances ; il suffit que je t’en donne ici l’abrégé. Nous voyons chaque jour s’écouler sans un moment de repos, et au milieu de guerres continuelles ; le carquois du Gète y est l’aliment inépuisable des combats. Seul, de tant de bannis, je suis à la fois exilé et soldat. Les autres vivent en sûreté, je n’en suis pas jaloux, et afin que tu juges mes vers avec plus d’indulgence, songe, en les lisant, que je les ai faits dans les préparatifs du combat.

Près des rives de l’Ister au double nom, il est une ville ancienne que ses murs et sa position rendent presque inaccessible. Le Caspien, Aegipsus, si nous en croyons ce peuple sur sa propre histoire, fut le fondateur de cette ville et lui donna son nom. Les Gètes farouches l’enlevèrent par surprise aux Odrysiens, qu’ils massacrèrent, et poursuivirent ensuite leurs attaques contre le roi. Celui-ci, dans le souvenir de sa grande origine, redoublant de courage, se présenta aussitôt entouré d’une armée nombreuse, et ne se retira qu’après s’être baigné dans le sang des coupables, et s’être rendu coupable lui-même, en poussant trop loin sa vengeance. Ô roi le plus vaillant de notre siècle, puissent tes mains glorieuses tenir à jamais le sceptre ! Puisses-tu (et mes souhaits pour toi ne sauraient s’élever plus haut) obtenir les éloges de Rome, fille de Mars, et du grand César.

Mais, revenant à mon sujet, je me plains à mon aimable ami, de ce que les horreurs de la guerre viennent encore se joindre à mes maux. Déjà quatre fois l’automne a vu se lever la Pléiade depuis que je vous perdis, et que je fus jeté sur ces rives infernales. Ne crois pas qu’Ovide regrette les commodités de la vie de Rome, et cependant il les regrette aussi, car tantôt je me rappelle votre doux souvenir, ô mes amis, tantôt je songe à ma tendre épouse et à ma fille. Puis, je sors de ma maison, je me dirige vers les plus beaux endroits de Rome, je les parcours tous des yeux de la pensée. Tantôt je vois ses places, tantôt ses palais, ses théâtres revêtus de marbre, ses portiques, un sol aplani, le gazon du champ de Mars, d’où la vue s’étend sur de beaux jardins, et les marais de l’Euripe, et la fontaine de la Vierge[1].

Mais sans doute que si j’ai le malheur d’être privé des plaisirs de la ville, je puis du moins

  1. On appelait ainsi à Rome une eau qui y était amenée par un aqueduc ; son nom lui venait de ce qu’elle avait été découverte, dit-on, par une jeune fille. Voyez les notes des Tristes, liv. III, élég. XII, note 2.