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aux tiennes ; jouir encore d’un entretien que je n’espérais plus, et, d’une main reconnaissante, offrir aux Césars, à une épouse digne de César, à ces dieux véritables, un encens mérité.

Puisse la colère du prince s’apaiser bientôt, et la mère de Memnon, de sa bouche de rose, m’annoncer enfin cette heureuse nouvelle !


LETTRE V

À MAXIME

Cet Ovide, qui autrefois n’occupait point la dernière place dans ton amitié, te prie, Maxime, de lire ces vers : ne cherche point à y retrouver mes inspirations premières, autrement tu me semblerais avoir oublié mon exil. Tu vois comme l’inaction énerve le corps engourdi, comme l’eau condamnée à croupir finit par s’altérer. Ainsi le peu d’habitude que je pouvais avoir acquise dans l’art de la poésie, je l’ai presque perdue, faute d’exercice assidu. Ces vers même que tu lis, crois-moi, ô Maxime, je les écris avec regret et d’une main presque rebelle ; un tel soin n’est plus possible à mon esprit, et ma muse, enrayée par le Gète farouche, ne répond plus à mon appel. Et cependant, tu le vois, je m’efforce d’enfanter quelques vers, mais ils sont, aussi durs que mon destin. En les relisant, j’ai honte de les avoir composés, car moi, qui suis leur père, je les juge et je vois que presque tous mériteraient d’être effacés. Cependant je ne les retouche pas. Ce serait pour moi un travail plus fatigant que celui d’écrire, et mon esprit malade ne supporte rien de pénible. Est-ce donc le moment de limer mes vers, de contrôler chacune de mes expressions ? La fortune sans doute me tourmente trop peu. Faut-il encore que le Nil se mêle aux eaux de l’Hèbre, et que l’Athos confonde ses forêts à celles qui couvrent les Alpes ? Non, le cœur déchiré par sa cruelle blessure a besoin de répit. Le bœuf soustrait sa tête au joug qui l’a blessé.

Mais sans doute qu’il est pour moi des fruits à recueillir, juste dédommagement de mes travaux. Sans doute que le champ me rend la semence avec usure, mais, hélas ! rappelle-toi tous mes ouvrages, et tu verras que, jusqu’à ce jour, aucun d’eux ne m’a servi ; plût au ciel qu’aucun ne m’eût été funeste ! Alors, pourquoi donc écrire ? tu t’en étonnes ? cet étonnement, je le partage, et souvent je me demande : "Que m’en reviendra-t-il ? " Le peuple a-t-il donc raison de nier le bon sens des poètes ? et serais-je moi-même destiné à être la preuve la plus éclatante de cette croyance, moi qui, trompé si souvent par un champ stérile, persiste à confier la semence à une terre ingrate ? C’est que chacun est l’esclave de ses goûts ; c’est qu’on aime à consacrer son temps à son art favori :