D’une part, on est exposé aux piques des Bistoniens[1], de l’autre, aux flèches des Sarmates. Viens maintenant me citer l’exemple de ces grands hommes de l’antiquité qui ont supporté avec courage les revers de la fortune. Admire l’héroïque fermeté de Rutilius[2], qui refuse la permission de rentrer dans sa patrie, et continue de rester à Smyrne, et non dans le Pont ni sur une terre ennemie, à Smyrne, préférable peut-être à tout autre séjour. Le Cynique de Sinope ne s’affligea pas de vivre loin de sa patrie ; oui c’est toi, terre de l’Attique, qu’il avait choisie pour sa retraite. Le fils de Néoclès, dont l’épée repoussa l’armée des Perses, subit son premier exil à Argus. Chassé d’Athènes, Aristide se réfugia à Lacédémone, et alors on ne pouvait dire laquelle de ces deux villes l’emportait sur l’autre. Patrocle, après un meurtre commis dans son enfance, quitta Oponte, alla en Thessalie, et y devint l’hôte d’Achille. Exilé de l’Hémonie, le héros qui guida le vaisseau sacré sur les mers de Colchide se retira près des bords de la fontaine de Pyrène[3]. Le fils d’Agénor, Cadmus, abandonna les murs de Sidon, pour fonder une ville sous un ciel plus heureux. Tydée, banni de Calydon, se rendit à la cour d’Adraste, et Teucer trouva un asile sur une terre chérie de Vénus. Pourquoi citerai-je encore les anciens Romains ? Alors l’exil n’allait jamais au-delà des limites de Tibur. Quand je compterais tous les bannis, je n’en trouverais aucun, et à aucune époque, qu’on ait relégué aussi loin et dans un pays si affreux. Que ta sagesse pardonne donc à la douleur d’un infortuné qui profite si peu de tes conseils. J’avoue cependant que si l’on pouvait guérir mes blessures, tes conseils en seraient seuls capables, mais hélas ! je crains bien que tes nobles efforts ne soient inutiles, et que ton art n’échoue contre un malade désespéré. Je ne dis pas cela pour élever ma sagesse au-dessus de la sagesse des autres, mais parce que je me connais moi-même mieux que les médecins. Quoi qu’il en soit, je regarde comme un don inappréciable tes avis bienveillants, et j’applaudis avec reconnaissance à l’intention qui te les a dictés.
LETTRE IV
À SA FEMME
Déjà au déclin de l’âge, je vois ma tête qui commence à blanchir ; déjà les rides de la vieillesse sillonnent mon visage ; déjà ma vigueur et mes forces languissent dans mon corps épuisé, et les jeux qui jadis firent le charme de ma jeunesse me déplaisent aujourd’hui. Si j’apparaissais tout à coup devant toi, tu ne pourrais me reconnaître,
- ↑ Longues piques macédoniennes.
- ↑ Rutilius, personnage aussi savant que probe, fut condamné à l’exil, par suite de la haine que lui portaient les chevaliers. Rappelé à Rome par Scylla, il refusa cette faveur d’un homme dont on n’osait alors rien refuser. (Val. Max., iv. VI, ch. 4.)
- ↑ La source de Pirène est près de Corinthe, où se retira Jason après le meurtre de Pélias.