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mordante ronge le fer abandonné, comme un livre renfermé est mangé par la teigne, ainsi, mon cœur est dévoré par des chagrins inflexibles et dont il ne verra jamais la fin. Oui, je mourrai avant mes remords et mes maux ne cesseront qu’après celui qui les endure.

Si les divinités, arbitres de mon sort, daignent croire à mes paroles, peut-être ne serai-je pas jugé indigne de quelque soulagement, et irai-je en d’autres lieux subir mon exil à l’abri de l’arc des Scythes. Il y aurait de l’impudence à en demander davantage.


LETTRE II

À MAXIME

Maxime[1], ô toi qui es digne d’un si grand nom, et dont la grandeur d’âme ajoute encore à l’illustration de ta naissance, toi pour qui le sort voulut que, le jour où tombèrent trois cents Fabius, un seul leur survécût et devînt la souche de la famille dont tu devais être plus tard un rejeton, Maxime, peut-être demanderas-tu d’où vient cette lettre. Tu voudras savoir qui s’adresse à toi. Que ferai-je, hélas ! Je crains qu’à la vue de mon nom, tu ne fronces le sourcil et ne lises le reste avec répugnance, et si l’on voyait ces vers, oserais-je avouer que je t’ai écrit, et que j’ai versé bien des larmes sur mon infortune ? Qu’on les voie donc ! Oui, je l’oserai, j’avouerai que je t’ai écrit, pour t’apprendre de quelle manière j’expie ma faute. Je méritais, sans doute, un grand châtiment, je ne pouvais, toutefois, en souffrir un plus rigoureux.

Je vis entouré d’ennemis et au sein des dangers, comme si, en perdant ma patrie, j’avais aussi perdu la tranquillité. Les peuples chez lesquels j’habite, pour rendre leurs blessures doublement mortelles, trempent leurs flèches dans du fiel de vipère. Ainsi armés, les cavaliers rôdent autour des remparts épouvantés, comme les loups autour des bergeries. Une fois qu’ils ont bandé leurs arcs, dont les cordes sont faites avec les nerfs du cheval, ces arcs demeurent ainsi tendus sans se relâcher jamais. Les maisons sont hérissées comme d’une palissade de flèches ; les portes solidement verrouillées peuvent à peine résister aux assauts. Ajoute à cela le sombre aspect d’un pays sans arbres ni verdure, où l’hiver succède à l’hiver sans interruption. Voilà le quatrième que j’y passe, luttant contre le froid, contre les flèches, et contre ma destinée. Mes larmes ne tarissent que lorsqu’une sorte d’insensibilité vient en suspendre le cours, et que mon cœur est plongé dans un état léthargique, semblable à la mort. Heureuse Niobé, qui, témoin de tant de morts, perdit le sentiment de sa douleur, et fut changée en

  1. Ce Fabius Maximus était un des favoris d’Auguste, et appartenait à l’une des familles les plus anciennes de Rome.