Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/685

Cette page n’a pas encore été corrigée


LES TRISTES.

LIVRE PREMIER.
ÉLÉGIE I.

Va, petit livre, j’y consens, va sans moi dans cette ville où, hélas ! il ne m’est point permis d’aller, à moi qui suis ton père ; va, mais sans ornements, comme il convient au fils de l’exilé ; et malheureux, adopte les insignes du malheur. Que le vaciet (1) ne te farde point de sa teinture de pourpre ; celte couleur n’est pas la couleur du deuil ; que le vermillon(2) ne donne pas de lustre à ton titre, ni l’huile de cèdre à tes feuillets. Qu’on ne voie point de blanches pommettes (5) se détacher sur tes pages noires ; cet appareil peut orner des livres heureux, mais toi, tu ne dois pas oublier ma misère ; que ta double surface ne soit point polie par la tendre pierre-ponce (4) ; présente-toi hérissé de poils épars çà et là, et ne sois pas honteux de quelques taches : celui qui les verra y reconnaîtra l’effet de mes larmes. Va, mon livre, et salue de ma part les lieux qui me sont chers ; j’y pénétrerai ainsi par la seule voie qui me reste ouverte.

S’il est quelqu’un dans la foule qui pense encore à moi, s’il est quelqu’un qui demande par hasard ce que je fais, dis-lui que j’existe, mais que je ne vis pas, et que cependant cette existence précaire est le bienfait d’un dieu. Par prudence, et de peur d’aller trop loin, tu ne répondras aux questions indiscrètes qu’en te laissant lire. A ton aspect, le lecteur aussitôt se préoccupera de mes crimes, et je serai poursuivi par la clameur populaire, comme un ennemi public. Abstiens-toi de répliquer, même aux plus mordants propos ; une cause déjà mauvaise se gâte encore quand on la plaide. Peut-être trouveras-tu quelqu’un qui gémira de m’avoir perdu, qui

ELEGIA I.

Parve (nec in video) sine me, liber, ibis in urbeiii ;
Hei mihi I quo domino non licet ire tuo.
Vade, sed incultus, qualein decct exulis esse.
Infelix habitum tcmporis hujus habc.
Nec te purpureo velenl vaccinia succo ;
Non est convenieus luctibus ille color :
Nec titulus tninio, nec ccdro charta nohtur :
Candida nec nigra cornua fronle géras.
Felices ornent hæc instrumenta libellos ;
Fortunæ memoreni te decet esse meæ ;
Nec.fragili geminæ poliantur pumice frontes :
Hirsutussparsis utvideare comis.
Neve liturarum pudeat : qui viderit illas ,
De lacrymis factas sentiet esse meis.
Vade, liber, verbisque meis loca grata salula.
ContÎDgam certe quo licet ilia pede.
Si quis, ut in populo noslri nou immeraor illic.
Si quis, qui quid agam forte requirat, erit ;
Vivere me dices : salvum (aineu esse uegabis ;
Id quoque quod vivain, inunus habere dei.
Teque ita tu lacitus quærenti plura legeudum ,
Ne, quæ non opus est, forte loquore, dabis.
Protinus admonitus repetet mea criuiina leclor,
Et peragar populi publiais ore reus.
Neu, cave, defendas, quamvis mordebere dictis.
Causa patrocinio non bona major erit. 26