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viennent de parcourir, et savourent à loisir le vin et la vie.

Les uns pensent que cette déesse est la lune achevant l'année par la succession des mois; d'autres que c'est Thémis; d'autres y voient la fille d'Inachus, Io, changée en génisse; quelques-uns prétendent que c'est une nymphe azanide, [3, 660] et que, Anna, tu as nourri l'enfance de Jupiter.

Enfin, une vieille tradition, qui peut-être est la vraie, est arrivée jusqu'à nous, et je vais l'exposer. Le peuple de l'ancienne Rome, à l'époque où il n'avait pas encore de tribuns pour protéger ses droits, s'était réfugié sur le sommet du mont Sacré. [3, 665] Les vivres qu'on avait emportés furent bientôt épuisés; le blé, premier aliment de l'homme, manqua. Il y avait, au village de Bovillae, non loin de Rome, une femme du nom d'Anna, pauvre, vieille, mais toujours vive et laborieuse; chaque jour, relevant ses cheveux blancs sous une légère bandelette, elle pétrissait, [3, 670] d'une main déjà roidie par l'âge, des gâteaux rustiques; puis le matin, tout fumants, elle allait les distribuer au peuple. Les citoyens furent touchés de ce bienfait, et, quand la paix les eut ramenés dans Rome, ils élevèrent une statue à Perenna, qui les avait secourus dans la détresse.

[3, 675] Il me reste maintenant à expliquer pourquoi les jeunes filles chantent des hymnes obscènes; car, à cette époque, elles se réunissent et prennent cette licence, que l'usage a consacrée.

Anna venait de prendre rang parmi les déesses; Mars vient la trouver, la tire à l'écart, et lui parle ainsi: "Ta fête est dans le mois qui m'appartient; ton culte et le mien sont réunis; [3, 680] ne refuse pas de me servir; tu peux beaucoup pour mon bonheur. Dieu des combats, je brûle pour Minerve, déesse des combats; depuis longtemps mon coeur souffre de cette blessure; travaille à confondre en une seule deux divinités que déjà tant de sympathies rapprochent l'une de l'autre; ce rôle est fait pour toi, bonne et officieuse Anna." [3, 685] Il dit; la vieille l'amuse d'une promesse perfide, et, le remettant de jour en jour, elle entretient longtemps sa crédule espérance. Enfin, le dieu, impatient, redouble ses instances. "Vos voeux seront accomplis, lui dit-elle; vaincue à grande peine par mes prières, elle a enfin consenti." L'amant se livre à la joie, et prépare la couche; [3, 690] Anna s'y laisse conduire, le visage voilé comme une jeune épousée. Prêt à la couvrir de baisers, Mars la reconnaît; la honte, la colère agitent tour à tour le dieu confus. La nouvelle déesse se moque de la passion de Mars pour une si belle Minerve, et Vénus n'a jamais ri de si bon coeur. [3, 695] Voilà l'origine de ces plaisanteries et de ces chants obscènes; on y célèbre la supercherie faite à une puissante divinité.

Je ne voulais pas parler des épées qui percèrent César lorsque, du fond de son inviolable sanctuaire., Vesta fit entendre ces mots: "Ne